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L’Histoire anthropologique de la Syrie racontée par sa toponymie 

  • par Augustin Théodore Debsi-Pinel
  • 29 mars, 2019

            Terre de passage, croisement de plusieurs mondes, la Syrie a une Histoire anthropologique riche, et détient des villes des plus anciennes du monde : en effet, la belle Damas paraît être née vers 10 000 avant le Christ selon les fouilles archéologiques. Terre à l’intérieur du Croissant Fertile, la Syrie a connu de nombreuses civilisations brillantes, depuis la nuit des temps. Il faut cependant alerter que la toponymie ne reflète pas complètement les peuples qui vivaient sur les lieux : parfois il y a des changements de nom, parfois il y a l’adoption du nom donné par les voisins. Toutefois, cela n’altère en rien la trace de la diversité des langues et cultures qui ont marqué la Syrie au cours de son Histoire et qui constitue la fierté nationale.

 

Damas la mystérieuse

 

            Comme énoncé ci-dessus, Damas est l’une des plus anciennes villes du monde. Mais, d’où vient son nom ? Si effectivement l’arabe est une langue formant ses mots avec trois consonnes que l’on pourrait retrouver en français (d-m-s), en arabe le nom de la capitale se dit دمشق Dimashq : il y a quatre consonnes (d-m-sh-q). L’arabe n’est pas étranger à ce genre de formation, mais il est clair que ce mot n’est pas d’origine arabe. L’Égypte l’appelait Timesqu au -XVe siècle, les araméens Damesheq, la Mésopotamie Dimmasqa. Il est fort probable que ce nom vient des natoufiens, culture florissante de13.500 à 7550 avant notre ère mais tout reste flou à leur sujet concernant leur langue. Certains linguistes pensent qu’ils parlaient le proto-chamito-sémitique (l’ancêtre commun des langues sémitiques, berbères, égyptienne, somali). Nous ne saurons probablement jamais ce qui se cache derrière ces quatre consonnes, jetant un voile opaque sur les origines lointaines de la Syrie.

 

L’essor éblaïte en Syrie septentrionale et l’ennemi amorrite

(XXXVIe-XIVe siècles avant J.C.)

 

            La civilisation éblaïte, sémitique, a fleuri autour de l’Euphrate syrien jusqu’à la ville antique d’Ebla (« pierre blanche » dans le gouvernorat d’Idlib) au IIIemillénaire avant notre ère. Cette région était le passage entre les hittites, les akkadiens et les sumériens et cette fusion a fortement influencé la culture locale comme en témoigne Mari, site archéologique à l’est de la Syrie qui porte le nom de Mer, dieu mésopotamien de l’orage prononcé à l’éblaïte (dans son dialecte maritique), ou encore Anasartha venant de « hunsiru » raton en akkadien. Emar est un autre exemple de toponyme régional près du lac al-Assad : bien que la signification exacte reste inconnue, le nom a été gardé quand les amorrites, peuple de la région vraisemblablement sémitique, ont conquis et colonisé ces villes. D’autres villes ont été fondées et témoignent de la présence amorrite à partir du IIe millénaire : Yamhad (Alep), Alakhtum (dans le Hatay actuel, région historiquement syrienne) voire Touba (aussi appelée Oum al Marra) et plus au sud Qatna (« mince, étroit ») que les éblaïtes mentionnaient sous le nom de Gudadanum/Gadanu. Peuple à l’origine issu des montagnes, ils auraient vraisemblablement migré et nomadisé vers le sud. Relai de la culture assyrienne en Syrie du nord, on date du XXIe siècle l’utilisation en langue louvite (hittite) de Sura’ï(dans l’inscription de Çineköy) pour désigner toute la région d’Ebla à Mari ; de cette désignation provient sans aucun doute notre Syrie actuelle.

 

La Syrie assyrienne d’hier, l’assyrien en Syrie aujourd’hui

(VIIIe-VIIesiècles avant J.C.)

 

            Si l’Assyrie a pour cœur la région de Ninive en Irak, elle était bien présente en Syrie et l’est encore de nos jours. On parle d’une « continuité assyrienne » dans la mesure où la population assyrienne subsiste aujourd’hui dans le gouvernorat de Al-Hassaké ; c’est aussi là-bas que l’on trouve quelques toponymes assyriens restant. Cette région a été sujette à beaucoup de passage, les toponymes changent selon les populations kurdes, turques, arabes ou assyrienne et c’est aussi une terre occupée depuis très longtemps comme le prouvent les excavations récentes de tell (collines en arabe, araméen et hébreu). Le toponyme le plus frappant est Tell Leilan : si aujourd’hui c’est un petit village, un site archéologique important a été découvert datant de -5000, date à laquelle c’était un village de fermiers. Conquis par le roi assyrien Shamshi Addad au XVIIIe siècle avant notre ère, le village est renommé Shubat Enlil (la résidence du dieu Enlil) et devient la capitale du royaume. Il ne fait aucun doute que le nom de Enlil se retrouve dans Leilan, la syllabe l-y-l étant préservée grâce à l’accent tonique dans le mot Enlil. Plus au sud dans la région, la ville de Al-Shaddadah tire son nom de l’akkadien Shadadu (influente, forte, résistante) depuis le -IXe siècle.Ces noms ont traversé les siècles jusqu’à aujourd’hui en restant (presque) intacts et reflètent un passé glorieux et étincelant de l’époque de l’empire assyrien. Bien qu’aujourd’hui beaucoup de sites ont perdu leurs noms originels et que les assyriens parlent l’araméen, les avancées archéologiques mettent au jour très souvent des villes autrefois influentes assyriennes (comme celles précitées) ou sous influence assyrienne (cf. Mari).

 

La trace des peuples de la côte(XXVIe-VIesiècles avant J.C.)

 

            Qui n’a jamais entendu des libanais dire qu’ils sont phéniciens et non arabes ? Beaucoup rient, mais ont-ils réellement tort ? Il est incontestable que les phéniciens ont laissé beaucoup de traces au Liban et en Syrie tout comme leurs cousins ougarites. La ville d’Ougarit est réputée avoir été fondée autour de -6000 ; c’était un très grand port et foyer des ougarites, sémites du nord-ouest comme les araméens et les cananéens. Bien que la ville ait été abandonnée, d’autres villes du gouvernorat de Lattaquié portent un nom d’origine ougaritique : c’est le cas de Jablé (Gabaley, vers -1200), Aramo (Arime, nom utilisé autour de -1300) et Yarti (de Yaartu, -1200). Si ces noms ont été conservés, c’est sûrement grâce à la proximité phonétique avec l’arabe ; en effet Jablé se construit autour des trois consonnes g/j-b-l signifiant la montagne, Yarti peut ressembler au mot « yart » (faire des ricochets). La civilisation ougarite a disparu lors des raids des peuples de la mer (particulièrement des Shelekesh, Sicules) dont le dernier roi d’Ougarit Ammurapi fait état avant la destruction de la ville en -1180. Seule la ville de Tell Sukas (Suksi en ougaritique) a survécu.

            La Phénicie a résisté à ces invasions massives qui ont aussi touché les hittites et les égyptiens et a fleuri sur les côtes syriennes de Tartous qui elle-même était appelée Aradus par les phéniciens (renommée Ant(i)-Aradus par les grecs, donnant Tartous en arabe). Bien qu’ils étaient surtout localisés au Liban, certaines villes dans les terres gardent des noms comme Qadmus qui porte le nom du prince Cadmos, fils du roi de Tyr, Safita appelée Sopoute en phénicien (peut-être en lien avec l’hébreu shofet, juge, ou l’arabe safā, pur), ou encore Qardaha plus au nord, signifiant « manufacture ». La ville de Arab al-Mulk était, elle, appelée Paltos à l’époque. Beaucoup de toponymes sont tombés dans un processus d’arabisation, mais avant cela d’ « aramaïsation » comme la ville de Qardaha dont le nom signifie « [la première] ville » (cf. Carthage venant de « Qart-hadasht », ville-nouvelle).

 

L’éclat araméen et syriaque (Du -Xe siècle à 641)

 

L’arrivée des peuples de la mer a bouleversé le Moyen-Orient en détruisant les civilisations existantes et permettant la montée en puissance de nouveaux peuples. Autour du -Xe siècle se déroule une réurbanisation des anciennes villes par un peuple du sud de la Syrie : les araméens. On assiste alors à la création de nouveaux royaumes araméens (appelés néo-hittites au nord) comme Aram (centré sur Damas), Hamath (Hama), Karkemish (Jarablus), Hamathsoba (Homs) etc. Beaucoup de toponymes actuels dérivent de l’essor des araméens ; Hama et Homs en sont de parfaits exemples qui retracentleur nom depuis le -XIe siècle dans la forme Hamath, signifiant « forteresse » (-soba pour Homs signifie proche). Bien que l’on trouve beaucoup de nouveaux noms différents les uns des autres (Manbij venant de manbeg« source », Marmarita, « point de vue », Muqlis de moqla et layth « œil du lion », Maaloula « entrée » ; célèbre village où le syriaque est encore parlé), beaucoup d’autres villes ou villages portent des préfixes ou des suffixes purement araméens.

Le cas le plus fréquent est celui de kafar/kfar/kafr qui signifie « village ». Partout en Syrie, on trouve ce toponyme (Kfar Sousseh à Damas, Kfar Laha près de Homs, Kafr Kileh au nord d’Idlib, Kafr Aqab sur le Golan, Kafr Buhum près de Hama etc). La concentration des toponymes avec kafr se trouve dans l’axe nord-sud du gouvernorat d’Idlib jusqu’au Golan, mais continue aussi au Liban et en Israël-Palestine.

Un autre préfixe a été cristallisé, c’est tel qui signifie colline. Ce mot est commun au syriaque et à l’arabe ce qui a réussi à préserver les toponymes portant ce préfixe, disséminés partout en Syrie près des montagnes : Tel Faher sur les hauteurs du Golan, Tel Tamr dans la région de Hassaké qui comporte une forte concentration de tel, ainsi que certaines villes dans les montagnes à la frontière du Liban.

En dernier exemple et de surcroît un peu plus rare, l’arabe a permis au préfixe beit- d’être préservé. Celui-ci signifie maison aussi bien en arabe qu’en syriaque, et l’on trouve quelques toponymes qui peuvent soit être daté de l’époque araméenne, soit de l’arrivée des arabes. Cependant, la présence du préfixe un peu plus répandu dar/deir (maison cf. Deir-ez-Zor) peut apporter la preuve que les arabes changeaient le préfixe ou bien qu’ils ont créé de nouvelles villes. Rien n’est sûr et la toponymie ne renseigne pas de manière exacte la population qui réside sur le territoire désigné, mais elle donne quand même de fortes indications sur la présence araméenne dans toute la Syrie centrale.

 

Les ruines de la Syrie gréco-romaine (-334 – 640)

 

            Il faut tout de même signaler que du VIe siècle à -334, la Syrie était l’Ebernahri perse achéménide. L’araméen étant la langue officielle de l’empire, la toponymie n’a pas montré un afflux massif de perses dans la région d’Ebernahri (Transeuphratène, aber « au travers », naher « rivière ») au contraire des grecs et plus tard des romains.

La conquête d’Alexandre le Grand de la Syrie par la victoire d’Issos en -333 engageait un processus d’hellénisation qui commence réellement à partir de la fondation de l’empire Séleucide à la fin du -IVe siècle. Il est indéniable que jusque là, les grecs étaient en contact avec les villes de la côte pour le commerce, cependant on assiste à une pénétration hellène vers l’intérieur des terres avec la fondation de nouvelles villes ou l’établissement du statut de polis pour certaines autres. On peut compter au moins trois nouvelles villes fondées formant le Tétrapolis séleucide : Antioche épidaphne (Antioche dans le Hatay culturellement syrien), Apamée sur l’Oronte (aujourd’hui Famiya, officiellement Qala’at al-Mudiq), Séleucie (nom porté par beaucoup de villes, aujourd’hui Suqalaybia). D’autres villes ont été fondées comme Alexandrette (Hatay anciennement syrien) appelée al-Iskandarun aujourd’hui, ou encore la fameuse Doura-Europos. Certaines villes sont devenues des poliset ont été renommées à l’occasion, témoins d’une présence grecque plus ou moins forte, en tout cas centre culturel important, ce qui est le cas pour Laodicée-sur-Mer nouveau nom de la Ramitha phénicienne (quatrième ville du Tétrapolis, aujourd’hui Lattaquié), Épiphanie (Hama), Antarados (Arwad), Palmyre (toponyme remplaçant le nom sémite préexistant de Tadmor), Émèse (Homs), Béroïa (Alep, remplaçant Khalpe d’origine inconnue).

La présence grecque ne s’est pas arrêtée lorsque les romains ont pris la région. Des toponymes grecs continuent d’apparaître pour des colonia romaines, par exemple la ville de Shahba dans le gouvernorat de Deraa était une colonia appelée Philippolis en honneur à l’empereur Philippe l’Arabe, Musmiyeh s’appelait Phaena, Qannawat était Canatha. Parfois, une même ville pouvait avoir deux noms : le nom actuel de Shaqqa vient du latin Saccaea alors que le nom grec était Maximilianopolis. Une forte concentration de colonies romaines se trouvaient dans le sud de la Syrie, bien que certaines autres villes actuelles continuent des colonies excentrées comme Nayara au nord d’Alep, anciennement la romaine Niara, Baldeh sur la côte (ancienne Paltus), Rakhlé (ancienne Rachlea, nom populaire de Zénopolis) près de la frontière libanaise. Il est à noter que le nom populaire des villes de l’époque a pu donner le nom actuel comme Rakhlé précitée, la ville de Banias sur le Golan célèbre pour ses sources tire son nom de Paneas, nom vulgaire de Caesarea Philippi.

Encore une fois, rien ne prouve une arrivée massive de colons grecs ou romains. S’il est certain qu’ils étaient présents, il y a sûrement eu des métissages et la transmission de la culture occidentale. Il y avait une cohabitation de la culture locale et de la culture étrangère, et probablement la toponymie découle de la culture occidentale plus prestigieuse à l’époque appliquée à des villes entièrement araméennes. Rien n’est sûr sauf le fait que ces noms reflètent l’appartenance de la Syrie à l’espace culturel grec et à l’empire romain.

 

La Syrie arabe

 

            C’est en 640 que la Syrie tombe sous la puissance des arabes. L’arrivée de ceux-ci dans les villes n’a pas eu de très grand bouleversement et quant à la toponymie, une translittération en arabe des villes a été mise en place. Les noms de villes pouvant trouver un équivalent en arabe ont été conservés presque tel quel comme Muqlis précitée (l’araméen moqla layth correspond à muqlat al-layth en arabe) ; d’autres toponymes ont réussi à être cristallisés lorsqu’il existe un préfixe sémite comme deir, tel, beit. Parfois, les arabes renommaient les villes selon leur spécialité (Sanamayn dans le sud signifie « deux idoles » et renseigne sur les deux divinités protectrices de la ville de Aere sous les romains : Tyché et Fortuna ; al-Hawash dans l’ouest) ou selon les particularités régionales.

De nouveaux toponymes étaient créés avec la création de village par des arabophones, par exemple Dar al-Kabirah (la grande maison, près de Homs), les villes commençant par Oum (la mère, à comprendre comme la source), al-Sukhna (« chaude » en référence aux sources d’eau), al-Hajar al-Aswad (« la pierre noire »), Sayyida Zaïnab (en hommage à la petite fille du prophète Mohammed). Ces nouveaux toponymes d’origine arabe sont dispersés dans toute la Syrie et témoignent de deux époques : celle de la translittération des noms préexistants (Arak du nom latin Aracha, Duraykish venant du latin Tre-cavi « trois caves », Kessab issu de Casabella) et de la création de nouveaux établissements par une population arabisée, étrangère ou bien syrienne.

Une troisième étape peut s’ajouter, c’est celle de l’arabisation de la Syrie avec l’arrivée du mouvement panarabe voulant fédérer tous les pays du monde arabe. Beaucoup de lieux ont vu leur nom remplacé, surtout dans les régions où vivent des minorités : ainsi Derika hemko dans la région de Hassaké dont le nom vient de l’araméen et comprenant une population majoritairement kurde est devenue al-Malikiyah en référence à Adnan al-Malki, officier syrien, Girkê legê est devenue Muabbada sous Hafez el-Assad, Tabqa est devenue al-Thawra en 1967 (« la Révolution » en référence au coup d’état du 8 mars 196 » contre Nazim el-Kudsi), Kobanê est devenue Ayn el-Arab dans les années 1980. Le but d’un tel processus était d’unifier la Syrie sous une identité arabe indivisible et effacer toute trace extérieure. La pression a aussi été très forte sur les Turkmens, en fait turcs d’Anatolie et non pas du Turkménistan transférés sous l’Empire ottoman pour coloniser l’intérieur des terres syriennes entre Homs et Hama. Après l’indépendance de la Syrie, leurs villages qui portaient des noms turcs ont fait l’objet d’une arabisation accompagnée de discrimination à l’égard des habitants. Soit le changement de nom reprenait le nom turc (Vericine – Farejeina, Gertman – Qurtuman, Hasırciye– Hasrajiyah) soit le nom a intégralement été changé supprimant toute marque turque (Kesir İde – al-Sokkarié, Çobanbey – al-Rayi, Sipahiler – al-Fursan).

 

            L’arabisation s’est vue contrée par l’indigénisationlancée par le Rojava de facto indépendant dans le nord de la Syrie. Les kurdes à la tête de la région ont alors renommé les villes dès 2015 dans quatre langues : le kurde kurmanji, l’arabe, le syriaque et le turc (l’arménien est reconnu pour certaines villes). Parfois, le nom des villes ne diffère pas d’une langue à l’autre (Manbij est respectivement appelée Menbîç, Manbij, Mabbog, Münbic) et d’autres fois le poids de l’Histoire se ressent dans la diversité des noms utilisés pour une même ville syrienne, portant le témoignage que la Syrie est une terre de passage où plusieurs peuples se sont côtoyés tout au long des siècles.

 

Augustin Théodore Debsi اوغستين تواضروس دبسي

par Eva Beauvois 22 mars 2022
 La religion musulmane, qui regroupe près d’un milliard et demi de fidèles, repose sur plusieurs dimensions touchant l’Homme au sein de sa société et de son époque : les dimensions théologiques et juridiques. Néanmoins, il existe une dimension de l’Islam qui permet, et incite, l’individu au détachement de son environnement pour se recentrer sur sa seule unicité avec Dieu : la dimension spirituelle, notamment matérialisée par la philosophie du soufisme. L’étymologie du terme, apparu vers la fin du IIe siècle de l’hégire, reste obscure. C’est notamment sur le mot sūfī qu’est formé en arabe tasawwuf (تصوّف) , littéralement « l’adoption des valeurs et des rites soufis », que le français a traduit par « soufisme ». De façon générale, il est néanmoins possible de le caractériser comme la recherche de la sagesse intérieure, visant à se rapprocher de façon évolutive de Dieu par de nobles vertus. La présentation de ce travail idéologique d’espérance du meilleur sera l’objet de cet article.
par Jâd Delozanne 8 mars 2022
L'art de l'Espagne islamique est un fantasme orientaliste depuis que Washington Irving l'a redécouvert pour le monde occidental dans ses délicieux Contes de l'Alhambra, écrits en 1832. Mais la citadelle et le palais du XIIIe siècle, situés au sommet d'une colline surplombant Grenade, sont non seulement les monuments les plus connus de l'ère musulmane en Espagne, mais aussi les plus grands trésors de cette période. Les Omeyyades, ou Umayyades, (en arabe : الأمــــویــــون sont une dynastie arabe qui gouverne le monde musulman de 661 à 750 puis al-ʾAndalus de 756 à 1031. Ils tiennent leur nom de leur ancêtre ʾUmayyah ibn ʿAbd Šams, grand-oncle du prophète Mahomet. Ils font partie des clans les plus puissants de la tribu de Qurayš, qui domine la Mecque. Al-Andalus était la partie de la péninsule ibérique sous domination musulmane. La péninsule ibérique désigne l'Espagne et le Portugal actuels. Dans sa plus grande extension géographique, Al-Andalus a placé sous son califat la majeure partie de la péninsule, l'actuel sud de la France et les cols alpins reliant l'Italie à l'Europe occidentale. Les musulmans ont régné sur la majeure partie de la péninsule jusqu'à la fin de la dynastie des Omeyyades au début du 11e siècle.
par Julien Groux 8 février 2022

 Considérées individuellement, les économies nationales ne semblent pas avoir été affectées de la même manière par la récession économique liée à la crise sanitaire. Celle-ci a montré les forces et les faiblesses, les capacités d’adaptation et de résilience, révélé les particularités de chaque économie. La crise est un moment où tout bascule, où apparaît un dysfonctionnement majeur. Si elle peut être une période de troubles, la crise peut aussi être un kaïros, un moment à saisir pour savoir et comprendre. Parce qu’elle révèle le réel , elle est une occasion formidable de s’interroger sur le fonctionnement d’une société. Pour dire simplement comme le fait le philosophe Charles Pépin, « c’est quand cela ne marche pas que nous nous demandons comment cela marche ». Ainsi, la crise sanitaire en ce qu’elle expose les singularités propres à chaque système économique conduit ici à s’intéresser, à travers la finance islamique, à la relation qu’il existe entre religion, notamment l’Islam, le droit et l’économie.

Alors que l’Islam était pour Max Weber un obstacle au développement économique, la finance islamique est aujourd’hui en plein essor. Relativement récente, elle a pour point de départ la création de la Banque islamique du développement en 1974 qui fait la promotion du développement économique dans les pays musulmans. Les banques occidentales s’intéressent à la finance islamique qui, bien que s’adressant en priorité aux musulmans reste ouverte sur le monde. La finance islamique passionne par son appartenance à une industrie financière éthique remise en lumière par la crise des subprimes de 2008. Les principes religieux s’inscrivent dans le droit qui régule l’activité bancaire islamique.

par Sofia Locquet 1 février 2022
En 1854, un diplomate français, Ferdinand de Lesseps, obtient l’autorisation de la part du khédive Mohammed Saïd de creuser et d’exploiter le canal maritime de Suez pendant 99 ans. Ce firman ouvre la voie à la création de la Compagnie de Suez, concession qui illustre l’intervention des puissances européennes en Égypte. Reliant la Mer Méditerranée et la Mer rouge, situé entre l’Europe et l’Asie, le canal est un lieu géostratégique majeur qui va servir à la fois les intérêts régionaux et commerciaux de l’Égypte ottomane et l’impérialisme européen.
par Eva Beauvois 7 décembre 2021

La culture marocaine s’exporte de plus en plus grâce à la mondialisation et ses relais, tels qu’internet et les médias. Le roi Mohammed VI a par ailleurs proposé depuis le début de son règne une politique étrangère fondée sur le libre-échange des biens, services et arts ainsi que sur le dialogue avec nombre de pays européens. Cette ouverture progressive tend à favoriser toutes les couches de la société marocaine ainsi que ses manifestations artistiques, comme celle qu’est le rap.

Cette évolution du rap marocain profite à l’entièreté du monde arabophone et à son économie. Elle se justifie par la véritable ascension d’une unité artistique puissance. Néanmoins, les premiers acteurs de cette puissance, les artistes, font face à certains obstacles politiques et institutionnels censurant leur art ou leur empêchant de gagner décemment leur vie. Fort heureusement, les supports médiatiques et leur source inépuisable de créativité permettent aux artistes marocains de faire porter leur art le plus loin possible et aux oreilles des plus chanceux. L’objectif de cet article est de témoigner de l’élévation de la culture rap marocaine sur une grande scène, celle du Maroc et potentiellement celle de l’Europe ainsi que de la volonté sans faille des artistes marocains.


par Housni Ahamada 16 novembre 2021
 Dans la continuité de son programme Vision 2030, le Royaume d’Arabie Saoudite a, le 25 août 2021, annoncé le lancement d’une série de partenariats, d’une valeur de plus de 4 milliards de riyals saoudiens (900 millions d’euros), avec les plus grandes entreprises technologiques du monde. Selon Saudi Press Agency, les objectifs fixés par le royaume sont d’améliorer les capacités numériques, de se doter d’une main d'œuvre qualifiée en encourageant la recherche et le développement afin de faire du pays un hub mondial de l’innovation numérique.

Ce récent évènement montre l’ambition de l’Arabie Saoudite, mais plus généralement des pays arabes, dans la course mondiale à l’innovation technologique et plus particulièrement dans le secteur de l’intelligence artificielle. Machine learning, deep learning, voitures autonomes, reconnaissance faciale, villes intelligentes et même robots pour certains ; les grandes puissances de ce monde sont entrées dans une course à l’innovation dans l’intelligence artificielle, considérée comme la quatrième grande industrialisation. Bien que selon Neil Sauvage, du Nature 2020 Index Artificial Intelligence, la Chine, les Etats-Unis et l’Europe se partagent le podium des leaders mondiaux du domaine, les pays arabes ne veulent également pas non plus rater cette opportunité estimée selon la société d’audit PricewaterhouseCoopers, à 15 700 milliards de dollars de contribution à l’économie mondiale d’ici 2030 dont 320 milliards pour la région Middle East North Africa.

 Dans cette folle course à la nouvelle industrialisation, trois pays se distinguent dans le monde arabe par leur potentiel à s’imposer comme de futurs hubs de l’intelligence artificielle dans la région. Ce sont les Emirats arabes Unis, l’Arabie Saoudite ainsi que l’Egypte. En effet, selon les recherches du PwC, la part estimée de l’IA d’ici 2030 dans le PIB des Emirats Arabes Unis est estimée à 13,6%, presque autant que les économies d’Amérique du Nord dont la part d’ici 2030 est estimée à 14,5%, à 12,5% pour l’Arabie Saoudite et enfin à 7,7% pour l’Egypte. Toutefois, ces prévisions réjouissantes ne sont que des prévisions et il s’agit maintenant aux concernés de mettre en place tout ce qu’il y a en leur pouvoir pour les réaliser. Signe révélateur que le message a été reçu : les gouvernements saoudiens et émiratis ont placé l’IA au centre de leurs stratégies économiques avec, respectivement, le programme Vision 2030 pour l’un, et le programme Artificial Intelligence Strategy 2031 pour l’autre. Le gouvernement égyptien a également donné une priorité à l’IA dans sa stratégie économique en voulant la développer au maximum.

Mais quelles sont réellement les raisons qui poussent ces gouvernements à donner autant d’importance au développement de l’IA ? Quels sont les moyens mis en place ? Y a -t-il déjà des résultats ? Ont-ils vraiment les moyens de leurs ambitions ? Quels sont les obstacles ?

Il s’agira de montrer dans cet article comment l’IA placée par ces gouvernements ambitieux en tant que priorité nationale entraîne la mise en place de projets pharamineux, devant toutefois faire face à des obstacles politiques et technologiques.

L’ intelligence artificielle : une priorité de gouvernements ambitieux

Quelles sont les raisons poussant les gouvernements arabes à investir dans l’intelligence artificielle ?

Un « cadeau empoisonné » . Voilà comment maintes économistes décrivent la rente pétrolière et gazière sur lesquelles reposent les économies du Golfe et ce en raison de la volatilité des prix de ces énergies mais également en réponse au développement constant d’énergies alternatives prêtes à supplanter les gaz et le pétrole. Il est urgent pour l’Arabie saoudite ainsi que pour les EAU de préparer la diversification de leurs économies afin de préparer leur économie à une nouvelle ère. L’investissement dans la technologie de l’IA représente donc une voie logique à suivre en ce qu’elle représente une opportunité de plus de 320 milliards de dollars pour les 10 ans à venir. De l’autre côté, l’ Egypte possède une économie certes diversifiée, mais qui se doit de redécoller après les nombreuses crises politiques de cette dernière décennie ayant paralysées le développement économique du pays. L’IA représente une voie privilégiée par son potentiel: d’ici dix ans, elle est susceptible de rapporter près de 43 milliards de dollars pour le pays.

Comment investissent-ils dans l’intelligence artificielle ? Quels sont les moyens mis en place ?

 De ces constats, les gouvernements ont fait du développement de toutes les technologies liées à l’IA des priorités nationales.

 Ainsi, en Arabie Saoudite, la stratégie gouvernementale pour l’IA se fonde principalement sur le projet Vision 2030 de diversification de l’économie. À celui-ci, s’ajoute un programme du nom de National Strategy for Data and AI (NSDAI) révélé en octobre 2020 à Riyadh lors du sommet Global de l’IA. L’objectif affiché par Riyad est de transformer pour 2030 le pays en hub mondial de l’intelligence artificielle en réformant totalement tous ses secteurs économiques afin de devenir “IA compatible”. Cette initiative gouvernementale s’accompagne donc de nombreux investissements du Fond Public Saoudien d’Investissement dans les industries, les secteurs privés et dans la mise en place de partenariats publics-privés en vue de développer l’intelligence artificielle. Cette année par exemple, le pays a formé des partenariats avec Google, Amazon et Oracle dans le but de, selon Saudi Press Agency, mettre en place des “programmes de formation" pour les étudiants saoudiens. L’objectif est ambitieux et les moyens de cette stratégie gouvernementale sont colossaux.

 Lors du sommet global saoudien de l’intelligence artificielle, le Président saoudien de l’Autorité des données et de l’intelligence artificielle a déclaré : « La stratégie nationale pour les données et l'IA définit l'orientation et les bases sur lesquelles nous allons libérer le potentiel des données et de l'IA pour répondre à nos priorités de transformation nationales et faire de l'Arabie saoudite une plaque tournante mondiale pour les données et l'IA. »
Quant aux Emirats Arabes Unis, la stratégie gouvernementale pour l’IA repose sur le programme Artificial Intelligence Strategy 2031 révélée en 2017. Le but affiché est d’accompagner la transformation digitale du pays pour faire des EAU un hub mondial de l'investissement dans l’intelligence artificielle dans de nombreux secteurs d’une manière “intelligente” et “éthique” en créant un système numérique intelligent pour le centenaire du pays en 2071. De ce fait, le pays a été le premier dans le monde à mettre en place, en 2017, un ministère consacré spécialement à l'IA aux côtés de la création de la Muhammad Ben Zayed University of Artificial Intelligence afin de répondre aux ambitions affichées.
Enfin, en Egypte, le gouvernement a, en 2019, instauré le Conseil National pour l’Intelligence Artificielle dans une logique de partenariats public-privé entre le gouvernement, les universités et les secteurs privés de l’IA. L’université Kafr El Sheikh a ouvert une faculté de l’IA sous l’impulsion gouvernementale. L’objectif affiché par le Ministère des Technologies de l'Information et de la Communication est d’identifier par la recherche les secteurs prioritaires nécessitant l’IA afin de mettre en place un système de l’IA “durable” et “intelligent” dans l'optique de donner au pays un rôle de “leader régional de l’IA”.
par Jean-Baptiste Dubois 20 octobre 2021

Propos introductif


 Au-delà du fait que Djibouti se situe sur le continent africain, ce pays mérite d'être abordé dans le cadre d'une analyse sur le monde arabe. En effet, les divers enjeux qui se jouent autour de ce territoire méritent une attention toute particulière pour comprendre une partie des dynamiques politiques actuelles dans le monde arabe. 

À ce titre, l’ambition djiboutienne de siéger au sein du conseil de sécurité de l’ONU, pour 2021-2022, témoigne de la volonté de son gouvernement de s’imposer sur la scène internationale et d'y représenter une voix africaine. Cette ambition s’inscrit dans le jeu de puissance qui s'opère au sein de ce territoire, mais avant d’aller plus loin dans les explications sur les motivations animant les dynamiques de ce pays, il convient d’apporter quelques éléments de définition et de contexte.

Tout d’abord, sur le volet géographique, Djibouti a une superficie de 23 200 km². En comparaison, celle de la France est de 643 801 km. Les villes principales de Djibouti sont Ali Sabieh, Dikhil, Arta, Tadjoura et Djibouti qui est la capitale du pays. Les langues officielles sont le français et l’arabe. La devise est le franc djiboutien (1€ = 208 FD, en 2018). Djibouti recense une population de 1 000 000 d’habitants en 2017 selon la Banque mondiale. Elle enregistre une croissance démographique de +1,6%/an. Un peu plus de la moitié de la population est alphabétisée (54,5% en 2015) et la religion majoritaire est l’Islam (96% du pays selon France Diplomatie). Avec son PIB de 1,97 milliard de US$, Djibouti se place au rang de la 49e puissance économique du continent africain sur 54.

Toutefois, Djibouti présente un intérêt des plus stratégiques, à savoir, sa position sur le détroit de Bab-el-Mandeb, un des corridors les plus fréquentés au monde qui contrôle l’accès à la Mer rouge. De surcroît, Djibouti est situé au cœur de l’arc de crise qui s’étend du Sahel au Moyen-Orient. Ses nombreuses crises régionales démontrent l’instabilité de la péninsule, d’où un certain engouement des puissances étrangères à intervenir en son sein.

Mais est-ce vraiment la raison primordiale ? Ces puissances étrangères sont-elles réellement motivées par la volonté de stabiliser cet État et sa région ? Ou bien ces interventions et cette présence extérieure attestent seulement d’une volonté de contrôler et de servir au mieux des intérêts qui façonnent le jeu des États ? Djibouti, au fond, ne serait-elle pas qu’une pièce maîtresse dans la conception prochaine du Moyen-Orient et du Sahel ?

Bien que ces interrogations soulèvent des questions fondamentales voire propices à des débats animés, il est nécessaire d’apporter des éléments historiques (I) dans le but d’identifier les raisons pour lesquelles les puissances extérieures agissent en son sein (II) qui viendront façonner un futur plus ou moins incertain pour la République de Djibouti et pour le Moyen-Orient (III).

par Jean-Baptiste Dubois 24 mai 2021
Le monde arabe est loin d’être un élément figé aussi bien physiquement qu’idéologiquement. Dans une société caractérisée par des mouvements incessants de flux et d’échanges, s’intéresser à la diffusion de dogmes trouve toute sa pertinence pour mieux saisir les enjeux qui façonnent cette partie du globe. C’est dans cette logique que l’association Assas Monde Arabe se penche sur la question du terrorisme islamique au Mozambique.
par Seki Courcoux 11 mai 2021
Les membres d'Assas Monde Arabe se présentent à vous, à-travers les ouvrages sur le Monde Arabe qui les ont marqués.
par Killian Cochet 23 avril 2021

En 2005, pour le 60e anniversaire de l’ONU, l’Assemblée Générale des Nations Unies a écrit une page déterminante de l’histoire du droit international. Par un vote unanime, les Etats membres ont adopté dans l’acte final du Sommet mondial un concept promu depuis des années par des juristes et des acteurs humanitaires internationaux : la responsabilité de protéger (souvent abrégée en R2P pour Responsability to Protect). Cette responsabilité impose aux États et, le cas échéant, à la communauté internationale, de protéger les populations contre les crimes graves qui peuvent être commis à leur encontre.


La responsabilité de protéger a marqué une évolution décisive dans la conception juridique des relations internationales. L’espace supranational est régi depuis près de quatre siècles par le “système westphalien”, tiré du Traité de Westphalie de 1648 qui conclut la Guerre de Trente Ans. Ce système est caractérisé par une double définition de la souveraineté des Etats : une souveraineté externe qui s’exprime par une égalité de droit entre les Etats et une souveraineté interne qui confère à chaque Etat une autorité exclusive sur sa population et son territoire. Ce système a connu un important développement au XXe siècle, particulièrement concernant la souveraineté externe. De l’Entre-Deux-Guerres à l’issue de la Deuxième Guerre Mondiale, divers acteurs ont tenté de donner sa pleine puissance au concept de souveraineté externe en mettant “la guerre hors-la-loi” (Expression du ministre des Affaires Etrangères français, Aristide Briand, lors de sa présentation du pacte Kellog-Briand à l’Assemblée Nationale le 1er mars 2029), que ce soit par le Pacte Kellog-Briand ou par la Charte des Nations Unis. En revanche, le volet interne de la souveraineté demeurait l’angle mort du développement sécuritaire des Nations Unies. A l’exception de la Convention pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide de 1948, peu de règles internationales régissaient les rapports entre un Etat et ses populations.


Néanmoins, à la sortie de la Guerre Froide, les conflits intra-étatiques et la protection des droits humains sont redevenus un enjeu majeur du droit international. Les années 1990 sont marquées par deux crises humanitaires que sont la guerre civile de Yougoslavie (1991-2001) et la guerre civile Rwandaise (1990-1994) qui prit un tournant génocidaire dans sa dernière année avec le massacre de près de 800 000 Tutsis et Hutus accusés de sympathiser avec l’ethnie massacrée (Rapport de l’ONU sur le génocide au Rwanda, 1999 : “Quelque 800 000 personnes ont été massacrées lors du génocide de 1994 au Rwanda”). Dans ce contexte de conflits internes, qu’ils soient hérités de la Décolonisation et de la Guerre Froide ou qu’ils s’agissent des “Nouvelles Guerres” caractéristiques de l’espace international post-Guerre Froide (KALDOR, Mary, New and Old Wars : Organized Violence in a Global Era, 2012), des acteurs politiques et humanitaires internationaux ont promu une évolution du droit pour prévenir de futurs excès de violence d’une telle ampleur.

Dès 1987, un colloque international organisé par la faculté de droit de Paris-Sud fait adopter à l’unanimité une résolution affirmant que “devraient être reconnus [...] par tous les Etats membres de la communauté internationale, à la fois le droit des victimes à l’assistance humanitaire et l’obligation des Etats d’y apporter leur contribution”. Cette résolution, qui sera portée plus tard devant les Nations Unies par la France, a notamment obtenu le soutien du juriste international de renom Mario Bettati et du fondateur de Médecins Sans Frontières Bernard Kouchner. Tandis que cette idée de “droit d’ingérence humanitaire” se répandait, deux discours allaient accélérer le passage au droit positif d’un concept de protection internationale des populations dans un cadre étatique.

Le premier fut donné par le Président de l’Afrique du Sud, Nelson Mandela, au Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Organisation de l’Unité Africaine à Ouagadougou, Burkina-Faso, en 1998. Nelson Mandela argumentait dans ce discours que le continent africain, partageant la marque du colonialisme et le néo-colonialisme, formait une communauté de destin et devait, en tant que tel, assurer communément la paix et la stabilité en son sein. Nelson Mandela, insistant sur la gestion commune de la sécurité qu’il promouvait pour le continent africain, affirmait qu’il était inacceptable “d’abuser du concept de souveraineté nationale pour nier au reste du continent le droit et le devoir d’intervenir, quand, au sein de cette souveraineté, le peuple est massacré pour protéger la tyrannie”.

Le second discours est celui du Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, devant l’Assemblée Générale des Nations Unies en 2000 alors que le débat autour de l’intervention humanitaire divise la communauté internationale. A cette occasion, il déclara “s’il l’intervention humanitaire constitue effectivement une atteinte inadmissible à la souveraineté, comment devons-nous réagir face à des situations comme celles dont nous avons été témoins au Rwanda ou à Srebrenica, devant des violations flagrantes, massives et systématiques des droits de l’homme, qui vont à l’encontre de tous les principes sur lesquels est fondée notre condition d’être humain ?”. Ce discours marqua le début du processus de formalisation de la responsabilité de protéger et son intégration finale au droit international promu par les Nations Unies.

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